Accords de Madrid de 1953


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Les appelés Accords de Madrid de 1953 (en espagnol, Pactos de Madrid) sont trois «accords exécutifs» signés à Madrid le 23 septembre 1953 entre les États-Unis et l'Espagne, alors sous la dictature du général Franco. Il est décidé l'installation sur le territoire espagnol de quatre bases militaires en échange d'une reconnaissance diplomatique et d'un soutien économique et militaire.

Pour le régime franquiste ils représentent, conjointement avec le Concordat avec l'Église Catholique signé un mois auparavant, l'intégration définitive dans le bloc occidental après l'isolement subi après-guerre à cause de son soutien aux puissances de l'Axe[1].

Antécédents

Fin 1947 apparaissent les premiers indices de la volonté de changement d'attitude des puissances occidentales envers le régime de Franco dans un contexte global de rupture entre les anciens alliés de la Seconde Guerre mondiale - le « monde libre » face à la « dictature communiste », selon les mots du le président Harry Truman. Dans la Guerre Froide le régime franquiste tire son épingle du jeu, vicéralement opposé au communisme depuis la Guerre Civile et controlant un territoire à la valeur géostratégique essentielle face à une possible invasion en Europe de l'Armée Rouge[2]. En novembre de 1947, les États-Unis s'opposent avec succès à une nouvelle condamnation par l'ONU du régime de Franco et à la résolution de nouvelles sanctions. Quatre mois plus tard, la France ouvre de nouveau la frontière des Pyrénées, et entre mai et juin de 1948 signe conjointement avec le Royaume-Uni des accords commerciaux et financiers. Début 1949 le régime franquiste recoit le premier crédit accordé par une banque des États-Unis avec l'approbation de son gouvernement, d'une valeur de 25 millions de dollars. Peu auparavant le président du comité des Forces Armées du Sénat nord-américain fait une visite officielle en Espagne.

 
Franco donnant un discours en Éibar en 1949. Pendant l'époque de l'isolement du régime le général Franco apparait rarement en uniforme, contrairement à d'autres époques de la dictature.

Le processus de « réhabilitation » de la dictature franquiste est complété formellement en 1950, lorsqu'en juin éclate la guerre de la Corée, première confrontation périférique entre les deux blocs. À la nouvelle de l'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, le gouvernement espagnol se hâte d'envoyer une note à la Maison Blanche : « l'Espagne souhaiterait aider les  États-Unis à contenir le communisme en envoyant des forces armées en Corée ». Le gouvernement nord-américain se contente de remercie, mais dès le mois suivant le Sénat, sur proposition du démocrate Pat McCarran — membre du Spanish Lobby créé par José Félix de Lequerica, représentant officieux du gouvernement espagnol à Washington -, autorise Export-Import Bank à accorder à l'Espagne un crédit de 62,5 millions de dollars.

Le 4 novembre 1950 l'Assemblée générale de l'ONU annule par une large majorité la résolution de condamnation du régime franquiste résolu en décembre de 1946. Les États-Unis vote pour, de même que 37 autres pays, la France et le Royaume-Uni s'abstiennent, de même que 10 autres pays, et 10 pays votent contre. Dans les mois suivants rentrent à Madrid les ambassadeurs occidentaux et est approuvé l'entrée de l'Espagne dans les organismes internationaux spécialisés de l'ONU.

L'intérêt des États-Unis pour l'Espagne s'expliquent par sa valeur geostratégique, en plus du « contrôle le détroit de Gibraltar, le territoire péninsulaire peut servir aussi de base arrière pour le dispositif militaire nord-américain en Europe, tandis que les îles Canaries permettent le contrôle d'une d'une vaste zone de l'Atlantique et de l'Afrique nordouest ».

Accords

 
Le dictateur de l'Espagne, Francisco Franco, et le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, dans la base américaine de Torrejón, à l'est de Madrid, en 1959.

Les négociations avec les États-Unis  commencent en avril de 1952. La délégation nord-américaine est dirigée par le général August Kissner pour les sujets militaires et par George Train pour les économiques, et l'espagnole par le général Juan Vigón. Les réticences initiales une reconnaissance et un soutien politique personnel à Franco, sont surpassées après l'élection du président Dwight Eisenhower. Il nommé comme ambassadeur à Madrid James Dunn, moins inflexible que son prédécesseur à entendre les conditions du gouvernement espagnol. L'accord est signé le 23 septembre 1953. Il n'a pas le rang de traité, comme demande le gouvernement espagnol, mais de « pacte exécutif » entre gouvernements (agreement) parce que pour signer un traité il eût été nécessaire l'approbation du Sénat, où la majorité refuse de collaborer avec la dictature de Franco.

 
Palais de Sainte Cruz (Madrid), siège du Ministère des Affaires étrangères où sont signés les Accords de Madrid.

Au moment de la signature des Pactes, au Palais de Santa Cruz, siège du Ministère des Affaires étrangères, il apparaît déjà qu'il ne s'agit pas d'un accord entre égaux. L'Espagne est représenté par le ministre des affaires étrangères, Alberto Martín-Artajo, et le ministre du Commerce, Manuel Arburúa, tandis que la représentation américaine se résume à son ambassadeur à Madrid et au président de la Chambre de commerce nord-américaine en Espagne[3].

Les Pactes de Madrid rassemblent sous le même nom trois accords : le premier se rapporte aux fournitures de matériel de guerre que les États-Unis fournissent à l'Espagne ; la seconde traite de l'aide économique, et comprend la concession de crédits importants ; le troisième, et plus important, se rapporte à la défense mutuelle, et consiste à l'établissement de bases militaires nord-américaines en territoire espagnol, et à l'engagement du gouvernement espagnol à apporter « au développement et maintien de son propre niveau de pouvoir défensif et de celui du monde libre [...] la pleine contribution qu'ils lui permettent son potentiel humain, ses ressources, ses installations et les conditions économiques générales », tout cela « dans la mesure de sa stabilité politique et économique », ce que constitue une garantie du soutien nord-américain au régime franquiste. L'accord sur les bases déclare :

« El gobierno de España autoriza al gobierno de Estados Unidos... a desarrollar, mantener y utilizar para fines militares, juntamente con el gobierno de España, aquellas zonas e instalaciones en territorio español bajo jurisdicción española que se convenga por las autoridades competentes de ambos gobiernos como necesarias para los fines de este Convenio. [...] Las zonas que en virtud de este Convenio se preparen para su utilización conjunta, quedarán siempre bajo pabellón y mando español y España asumirá la obligación de adoptar las medidas necesarias para su seguridad exterior. Sin embargo, los Estados Unidos, podrán, en todo caso, ejercer la necesaria vigilancia sobre el personal, instalaciones y equipo estadounidenses. »

Les bases sont ainsi théoriquement sous la souveraineté conjointe de l'Espagne et des États-Unis, mais il existe un protocole additionnel secret, révélé des années plus tard que les États-Unis pouvait décider unilatéralement quand les utiliser « en cas d'évidente agression communiste menaçant la sécurité de l'Occident » sans obligation de rendre compte au gouvernement espagnol. D'autre part, y sont stockées des armes atomiques en elles-même dans la base de Torrejón pourtant à quelques kilomètres de Madrid[3].

La plus importante des bases est celle de Rota, qui domine l'entrée du détroit de Gibraltar. Elle représente, avec celle de Holy Loch, en Grande-Bretagne, et celle de Guam dans le Pacifique une des trois seules bases dont disposent les États-Unis à l'extérieur pour l'utilisation des sous-marins Polaris, pouvant tirer le missile américain mer-sol-balistique-stratégique UGM-27 Polaris, entré en service en 1960[3].

Conséquences directes

 
Avion de chasse nord-américain dans la Base de Torrejón, 1970.

Durant les dix premières années d'entrée en vigueur des accords, qui seront prolongés, les américains installent en territoire espagnol quatre grandes bases militaires, trois aériennes (Base Aérienne de Morón, Base Aérienne de Saragosse et Base Aérienne de Torrejón de Ardoz) et une navale (Base Navale de Rota). S'y installent près 7 000 militaires et leurs familles.

La compensation économique entre 1953 et 1963 atteint plus de 1 500 millions de dollars, principalement sous forme de crédits gérés par la banque Export-Import pour acheter des produits nord-américains, surtout des aliments, du coton et du charbon. Elle se substitue en réalité au Plan Marshall dont jouissent les autres pays d'Europe de l'Ouest et dont n'a pas pu profiter l'Espagne après-guerre.

L'aide militaire est de 456 millions en matériel de guerre de deuxième main, qui permettent de moderniser les Forces Armées pendant la dictature franquiste que continuaient à utiliser les armes italiennes et allemandes de la Guerre Civile espagnole. Le gouvernement américain annonce que son usage, doit se limitant aux aspects défensifs.

Du point de vue geostratégique l'Espagne est incorporée au système de défense occidentale sans accéder à la prise de décisions, son entrée dans l'OTAN étant rejetté par véto des membres européens. L'OTAN est fondée l'année antérieure, en 1949. L'Espagne devient donc « un satellite stratégique, bien plus qu'un allié formel, des États-Unis ».

Le principal bénéfice des Accords de Madrid est politique, puisque grâce à eux le régime franquiste quitte définitivement l'isolement international qu'il subi depuis 1945. Un point de vue  soutenu notamment par Stanley G. Payne : « il n'y a pas doutes que cette relation a fortifié l'image du Régime à l'intérieur du pays comme à l'extérieur. Martín Artajo affirma qu'il symbolisait la reconnaissance de la part des États-Unis de que la position de Franco avait été juste depuis le début. Néanmoins, il y avait une opposition assez forte à cet accord au sein de l'Espagne, bien qu'elle ne pouvait s'exprimer librement. Les critiques faisaient valoir que c'était une relation asymétrique et qu'il impliquerait à l'Espagne ou au moins le territoire espagnol à n'importe quel conflit international en que prît part les États-Unis ». Il faut rappeler qu l'Espagne n'avait pas participé à la Seconde Guerre Mondiale, se déclarant tantôt neutre, tantôt non-bélligérant, malgré le soutien au pays de l'Axe, notamment militaire avec la Division Azul sur le front oriental.

Conséquences actuelles

 
La bombe nucléaire B28, retrouvée à 870 m de fond, sur le pont de l'USS Petrel (ASR-14), 1966

Les bases seront le cadre de plusieurs scandales non totalement résolus. En janvier 1966 se produit l'accident nucléaire de Palomares : les États-Unis perdent quatre bombes H de type W28 aux larges des côtes andalouses[4]. Quelques jours avant le coup d'État manqué du 23 février 1982 en Espagne, alors en pleine transition démocratique, les bases militaires sont mises en alerte. L'absence de réaction officielle de Washington pendant les quelques heures d'incertitudes suscitera des suspcion et alimente les théories complotistes encore aujourd'hui. Les dossiers relatifs à l'événement n'ont pas encore été déclassifié.

 
C-17 sur la base de Morón durant l'opération Enduring Freedom en 2001

Les États-Unis utilisent encore aujourd'hui (en 2017), et malgré les polémiques qu'elles suscitent régulièrement, la base aérienne de Morón, à moins de 60 km au sud-est de Séville ainsi que la base navale de Rota, dans la baie de Cadix, 100 km plus au sud[5]. À près de 100 km de l'entrée du détroit de Gibraltar, elles sécurisent l'entrée de la mer Méditerranée et sont utilisés dans les opérations extérieures au Maghreb et en Afrique du Nord, notamment pendant la Intervention militaire de 2011 en Libye Guerre du Mali[6].

La base de Madrid, de Torrejón de Ardoz, est restituée en 1992, et celle de Saragosse deux ans plus tard. Toutefois, l'intégration complète de l'Espagne dans l'OTAN en 1982 permet toujours leur utilisation par les Forces armées des États-Unis.

Références

  1. « La creación del estado franquista – Fundamentos ideológicos y apoyos sociales - DAVID STREAMS », DAVIDSTREAMS.com,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. (es) Maria del Rocio Piñeiro Álvarez, « Los Convenios Hispano-Norteamericanos de 1953 », HAOL,‎ (ISSN 1696-2060, lire en ligne)
  3. a b et c Ministere Des Affaires Etrangeres, Documents diplomatiques Français: 1968-Tome II (1er juillet-31 Décembre), Peter Lang, (ISBN 9789052015576, lire en ligne)
  4. Wired, « Jan. 17, 1966: H-Bombs Rain Down on a Spanish Fishing Village », sur WIRED (consulté le )
  5. « Google Maps », sur Google Maps (consulté le )
  6. (es) Jesús Rodríguez, « Malí: La guerra invisible contra el yihadismo | Documentos | EL PAÍS Semanal », El País Semanal,‎ (lire en ligne, consulté le )

Bibliografía

Voir aussi