« Belanda Hitam » : différence entre les versions — Wikipédia


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'''Belanda Hitam''', ou '''Hollandais noirs''', est le nom des soldats africains servant au sein de l'[[Armée royale des Indes néerlandaises|armée royale néerlandaise des Indes orientales]] (''{{Langue|néerlandais|Koninklijk Nederlands Indisch Leger}}'') au {{S-|XIX}} et {{S-|XX}} dans les [[Indes orientales néerlandaises]] (aujourd'hui [[Indonésie]]). Les premières vagues de recrutement sont effectuées depuis la ville d'[[Elmina]] (maintenant située au [[Ghana]], en [[Afrique de l'Ouest]]). Ces recrues sont d'anciens esclaves provenant de l'intérieur du territoire dont les [[Empire colonial néerlandais|Néerlandais]] rachètent la liberté auprès du [[Empire ashanti|royaume ashanti]], à la suite de l'accord passé entre [[Jan Verveer]] et l'[[Empire ashanti|Asantehene]] [[Kwaku Dua I|{{nobr|Kwaku Dua I}}]].

Entre {{Date|3=1831}} et {{Date|3=1872}}, plus de {{Nbr|3000|Africains}} sont recrutés sur la [[Côte-de-l'Or néerlandaise]] pour servir dans l'armée coloniale des Indes orientales néerlandaises. Ce recrutement est une mesure d'urgence pour maintenir un effectif suffisant sur place. En effet, les Néerlandais accusent de nombreuses pertes de soldats [[Europe|européens]] et des dizaines de milliers de soldats [[Peuple autochtone|indigènes]] dans la [[guerre de Java]] menée contre le prince javanais [[Diponegoro]]. Les [[Pays-Bas]] suivent l'exemple d'autres puissances coloniales comme le [[Royaume-Uni]] et la [[France]], en recrutant des soldats en Afrique afin de combattre dans d'autres colonies. En général, les membres des armées étrangères sont peu enclins à sympathiser avec la population indigène dans sa résistance à la domination coloniale. Le recrutement prend fin après la cession d'Elmina au Royaume-Uni par le [[Traité de Sumatra|traité de Sumatra]], signé en [[1871]].

Certains Africains retournent alors dans leur pays d'origine, en Afrique de l'Ouest, mais la plupart s'installent dans les Indes orientales néerlandaises après avoir prise épouse localement. Leurs descendants sont considérés comme [[indo]] ou indo-africains et portent toujours le surnom de Belanda Hitam. Après la [[Seconde Guerre mondiale]] et la reconnaissance de l'[[Proclamation de l'indépendance de l'Indonésie|indépendance de l'Indonésie]] par les Pays-Bas, le {{Date|27 décembre 1949}}, la plupart d'entre eux s'installent aux [[Pays-Bas]].

== Histoire ==

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Dans son rapport, Jan Verveer rapporte à [[Batavia (Indes néerlandaises)|Batavia]] qu'après deux ans d'entraînement, les premiers hommes recrutés seront prêts car ils sont {{Citation|naturellement loyaux, volontaires, obéissants et, bien guidés, inébranlables envers l'ennemi}}{{Sfn|van Kessel|2005|p=62}}. Il promet que {{Nbr|2000|hommes}} seront recrutés et envoyés à Java, courant {{Date|3=1837}} et un centre d'enrôlement est mis en place à Elmina afin de faciliter le recrutement qui est coordonné par J. Huydecoper, un fonctionnaire euro-africain descendant de [[Jan Pieter Theodoor Huydecoper|Jan Huydecoper]]{{Sfn|van Kessel|2005|p=80, 83, 88}}. Cependant, au terme de l'année 1837, seuls {{Nobr|595 africains}} sont effectivement envoyés à Java{{Sfn|van Kessel|2005|p=76}}.

En {{Date|3=1842}}, le recrutement cesse provisoirement sous la pression des campagnes anti-esclavagistes des Britanniques. Cependant, il reprend en {{Date|3=1855}}, en raison des résultats positifs des premiers soldats africains postés dans les Indes orientales néerlandaises, tout en se basant exclusivement sur le volontariat à partir de cette époque. En {{Date|3=1860}}, après les deux premières vagues de recrutement, un détachement complet est envoyé à Java, rapidement suivi par des centaines d'autres recrues qui forment les troisième et quatrième vagues{{Sfn|Abbink|2012|p=67-77}}.

==== Conditions proposées aux recrues ====

À la suite de l'[[abolition de l'esclavage au Royaume-Uni]], le recrutement ne doit plus être présenté comme un achat d'esclaves. Jan Verveer suggère de mettre l'accent sur la portée humanitaire de l'action puisque ces esclaves craignent quotidiennement pour leur vie et risquent d'être utilisés comme offrandes lors de [[Sacrifice humain|sacrifices humains]]{{Sfn|van Kessel|2005|p=60-61}} :

{{Bloc citation|Leur passage dans notre service militaire est considéré, par eux, comme la plus grande bonne fortune qui puisse leur arriver  !}}

Des sacrifices humains sont en effet signalés en Afrique Occidentale, dès le {{S|XVI}}, parmi de nombreux peuples dont les [[Ashantis|Ashanti]], les [[Malinkés|Mandingues]], les [[Dogon (peuple)|Dogons]] et les [[Yoruba (peuple)|Yoruba]]. Selon l'[[Ethnologie|ethnologue]] Henri Labouret, la pratique a encore cours au début du {{S|XX}}, {{Citation|malgré la surveillance exercée par les autorités administratives}}. Il s'agit tantôt de fournir des serviteurs à un défunts dans l'au-delà, tantôt de se prémunir contre une mauvaise récolte ou de remercier les puissances surnaturelles pour une bonne récolte<ref>{{Article|prénom1=Henri|nom1=Labouret|titre=Sacrifices humains en Afrique occidentale|périodique=Journal des Africanistes|volume=11|numéro=1|date=1941|doi=10.3406/jafr.1941.2512|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1941_num_11_1_2512|consulté le=2023-07-15|pages=193–196}}</ref>.

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Dès la fin de la [[Seconde Guerre mondiale]], les Indonésiens menés par [[Soekarno]] et [[Mohammad Hatta]] proclament [[Proclamation de l'indépendance de l'Indonésie|l'indépendance du pays]]. Lors du [[Révolution nationale indonésienne|conflit armé]] qui éclate entre les nationalistes et la puissance coloniale, les soldats indo-africains libérés des camps de prisonniers japonais se trouvent alors engagés aux côtés des Néerlandais{{Sfn|van Kessel|2007|p=260}}. La région du [[Java oriental]] est le théâtre de nombreuses violences. Selon l'historien William H. Frederick, le nombre de victimes néerlandaises et alliées s'élève probablement à plus de {{formatnum:6000}}. Les causes de ces massacres résident principalement dans les tensions raciales entre les deux camps{{sfn|Frederick|2012|p=359-380}}.[[Fichier:Van Mook.png|vignette|720x720px|Entre {{Date|3=1945}} et {{Date|3=1950}}, le statut de la future [[république d'Indonésie]] évolue au gré des rapports de force entre les puissances coloniales (Pays-Bas et Royaume-Uni) et les mouvements indépendantistes locaux. Ci-dessus, la situation sur l'île de Java, en janvier 1948, avec en rouge, les territoires contrôlés par les indépendantistes indonésiens.|centré|alt=Les indépendantistes contrôlent l'extrémité Nord-Ouest de l'île et la partie centrale dont Purworejo.]]

Comme les Belanda Hitam ont la réputation de soutenir le gouvernement néerlandais, les nationalistes indonésiens capturent les habitants de Purworejo en 1945, c'est-à-dire les femmes et les enfants des soldats indo-africains. En 1946, suite aux [[Accord de Linggarjati|accords de Linggarjati]], les soldats indo-africains sont placés en garde à vue dans des camps par les nationalistes indonésiens. Enfin, en 1949, avec le transfert de souveraineté, l'armée néerlandaise est rapatriée et ce rapatriement concerne également la population indo-africaine{{Sfn|van Kessel|2007|p=263-264}}.

Si quelques Belanda Hitam acceptent de prendre la nationalité indonésienne, la majorité rejoint les Pays-Bas{{Sfn|van Kessel|2007|p=265}}. Les violences commises contre les Belanda Hitam sont indissociables des violences commises contre les Néerlandais de souche européenne et leurs alliés britanniques. Dans certains cas, on relate aussi des meurtres d'[[Amboinais]], confondus avec des Belanda Hitam, à cause de leur peau noire{{sfn|Frederick|2012|p=359-380}}.

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Les Néerlandais essaient de s'assurer de l'obéissance de leurs soldats africains en leur accordant un traitement spécial par rapport aux soldats indigènes de la KNIL. Les membres africains bénéficient du même statut et des mêmes conditions de service ([[salaire]], promotions, [[nourriture]], [[Vêtement|vêtements]], etc.) que les membres européens. En conséquence, les membres africains de l'armée se sentent au-dessus des membres indigènes, qu'ils méprisent. Il convient de noter que la structure de l'armée coloniale est organisée selon des strates strictes fondées sur l'ethnie et le [[statut social]]. Au sommet de la hiérarchie se trouvent les Européens. Les Ambonais, qui sont [[Christianisme|chrétiens]], sont au milieu tandis que les autres soldats indigènes (les Javanais, les Bugis, etc.), qui sont [[Islam|musulmans]], sont en bas. Les uns et les autres honorent cependant l'Européen à la tête de leur armée{{Sfn|Kessel|2002|p=153}}{{,}}<ref group="note">Les Néerlandais, comme d'autres puissances coloniales, ont délibérément créé cette stratification afin que les Africains se sentent étrangers aux indigènes et ne sympathisent pas avec eux si ces derniers s'opposent aux Européens.</ref>.

Les Néerlandais sont généralement satisfaits de la qualité des soldats africains. Ineke van Kessel cite un des premiers rapports néerlandais qui indique, entre autres, que {{Citation|ce sont des gens honnêtes  ; aucun signe de vol n'a été signalé. Ils sont forts, bien bâtis, infatigables et se sont adaptés au climat tropical. Lors des expéditions militaires, ils font preuve de courage, plus que les Européens}}{{Sfn|Kessel|2002|p=154}}{{,}}<ref group="note">{{Lang-en|"they were honest men; no traces of thievery had been reported. They were mostly strong, muscled, indefatigable and very adapted to the tropical climate. During military expeditions they demonstrated bravery and fearlessness, even more so than the Europeans."}}.</ref>. De nombreux membres africains reçoivent des décorations pour leur bravoure, en particulier après l'expédition contre Aceh<ref>{{Lien web |langue=ms |titre=‘Belanda Hitam’ di Hindia-Belanda - Sangkelana |url=http://sunjayadi.com/belanda-hitam-di-hindia-belanda/ |date=2012-01-25 |consulté le=2023-07-08}}.</ref>.

=== Rébellion ===

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Entre 1838 et 1841, plusieurs soulèvements se produisent. En {{date-|avril 1840}}, les soldats africains de [[Kabupaten de Purworejo|Purworejo]] se révoltent à cause des salaires. Cette révolte est précédée de quelques griefs car les promesses d'égalité en matière de vêtements et de [[Lit (mobilier)|literie]] sont bafouées. En {{date-|juin 1841}}, certains soldats africains du camp de [[Godart van der Capellen|Van der Capellen]] à Sumatra refusent d'obéir aux ordres parce qu'ils sont moins bien payés que les Européens. Un incident s'ensuit entre les soldats européens et africains qui se conclut par la mort de deux Africains{{Sfn|Kessel|2002|p=152}}. L'incident de Sumatra conduit le gouvernement colonial à revoir le système de recrutement et la participation des Africains à la KNIL{{Sfn|van Kessel|2007|p=261}}.

Les récits néerlandais de l'époque évoquent plusieurs raisons de rébellion parmi les soldats africains. Ces raisons sont liées à la structure ethnique de la KNIL, à la perception du statut et à la promesse d'égalité avec les Européens. Du point de vue des responsables militaires européens, les Africains ne sont pas si différents des [[Ambon (île)|Amboniens]] ou d'autres membres indigènes. Ils se demandent notamment pourquoi les soldats africains bénéficient d'un traitement spécial par rapport aux membres d'Ambon, qu'ils considèrent comme plus compétents et de même religion. Les Africains, pour leur part, jouissent du statut d'européen et méprisent les autochtones, y compris les Ambonais, qui bénéficient pourtant également d'un traitement particulier en tant que chrétiens. Les Africains s'offusquent, par exemple, qu'on leur donne des matelas de couchage similaires à ceux des soldats d'Ambon, au lieu de matelas prévus pour les Européens. Ce problème de literie, mêlé à d'autres manquements, est à l'origine de l'incident de {{Date|3=1841}}{{Sfn|Kessel|2002|p=161-163}}.

== Population indo-africaine ==

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Une petite partie des soldats africains retournent à Elmina après la fin de leur service et s'installent sur une colline derrière le [[Saint-Georges-de-la-Mine|fort Saint-Georges]]{{Sfn|Abbink|2012|p=73}}. La colline est rebaptisée ''Java Hill'' en mémoire de leurs contributions militaires{{Sfn|Boyce|2008|p=721}}. Des Indes orientales néerlandaises, ils apportent des techniques de [[batik]], qui sont devenus si populaires au Ghana et dans d'autres parties de l'Afrique de l'Ouest, qu'un marché du batik fait à la main émerge, lancé en {{Date|3=1876}} par la société néerlandaise [[Vlisco]]{{Sfn|van Kessel|2005|p=194}}{{,}}{{sfn|Tranberg Hansen|Madison|2013}}.

Après la [[proclamation de l'indépendance de l'Indonésie]], la plupart des descendants de ces soldats africains s'installent aux Pays-Bas. Certaines de ces communautés restent mutuellement en contact et se rencontrent aux Pays-Bas, par l'intermédiaire de la {{Anglais|Indo-Afrika Kontakt Foundation}}<ref name=":1" />. Ce groupe fait l'objet d'une attention accrue au début du 21ème siècle : le {{date-|12 mai 2005}} , L'exposition ''{{Langue|nl|Zwart in Dienst van Oranje}}'' (Noirs au service de l'Orange) est inaugurée le au [[Tropenmuseum]] d'[[Amsterdam]]<ref>{{Lien web |langue=nl|titre=Zwart in dienst van Oranje |url=http://collectie.tropenmuseum.nl/default.aspx?ccid=T371 |éditeur=Tropenmuseum |date=12 Mai 2005 |consulté le=16 Octobre 2014 |archive-url=https://web.archive.org/web/20170118050712/http://collectie.tropenmuseum.nl/default.aspx?ccid=T371 |archive-date=2017-01-18 |brisé le=no}}.</ref> ; en juillet de la même année, est publié livre ''{{Langue|nl|Zwarte Hollanders: Afrikaanse soldaten in Nederlands-Indië}}'' (Hollandais noirs : soldats africains dans les indes néerlandaises orientales) d'Ineke van Kessel{{Sfn|van Kessel|2005}}, suivi en 2010 de ''{{Langue|nl|Zwarte huid, Oranje hart  : Afrikaanse KNIL-nazaten in de diaspora}}'' (Peau noire, cœurs oranges : descendants de la diaspora africaine KNIL), écrit par l'écrivaine et réalisatrice néerlandaise Griselda Molemans et le photographe Armando Ello{{sfn|Molemans|Ello|2010}}.

=== Particularité familiale ===