« Normale », un film émouvant où la poésie sert de philosophie de vie


Baptiste Thion

Article Images

Olivier Babinet continue de fabriquer un univers singulier pour supporter la réalité.

Lucie (Justine Lacroix) s'échappe du quotidien grâce à son imagination.

Lucie (Justine Lacroix) s'échappe du quotidien grâce à son imagination. © Fanny de Gouville Haut et court

« J’ai passé l’aspirateur ce week-end, comme tout le monde », répond dans un sourire Olivier Babinet quand on lui demande son rapport au réel. Le réalisateur de 52 ans a pourtant façonné en l’espace de trois longs métrages un univers singulier où la fantaisie, l’étrange ou l’onirisme s’invitent dans une réalité pas toujours rose afin de la transcender. Un univers qui ressemble au nôtre, mais diffère par ses pas de côté, si bien qu’on pourrait le qualifier de parallèle.

La suite après cette publicité

Après Robert Mitchum est mort en 2010 (coréalisé avec Fred Kihn), road-movie absurde dans la veine d’Aki Kaurismäki ou de Jim Jarmusch, le très beau documentaire Swagger (2016) centré sur des gamins d’Aulnay-sous-Bois, et Poissonsexe (2019), rom com mâtinée de film d’anticipation, le revoilà avec Normale, l’émouvante histoire d’une collégienne à l’imagination débordante vivant auprès d’un père fantasque (impeccable Benoît Poelvoorde) mais victime de la sclérose en plaques.

Là-bas, il n’y a rien à l’époque hormis deux ou trois bars où on n’a pas le droit d’aller

Le réalisateur Olivier Babinet

Olivier Babinet a puisé dans ses jeunes années strasbourgeoises pour dessiner son écrivaine en herbe et son environnement. Lui aussi était un ado timide qui éprouvait le besoin de s’évader. En l’occurrence littéralement, puisqu’il faisait le mur la nuit venue pour oublier un quotidien parfois pesant, entre des parents « plutôt stricts » et le collège abhorré. « Là-bas, il n’y a rien à l’époque hormis deux ou trois bars où on n’a pas le droit d’aller, se souvient-il. Avec mes potes, on se retrouvait dans des parcs pour faire des conneries, se raconter des histoires ou créer des personnages. Petit à petit, on a commencé à faire des romans-photos, de la fiction radio puis des films. »

Cet autodidacte sans diplôme parlant parfois au présent du passé a débuté dans la publicité, aiguillé par son frère aîné Rémi, président et fondateur de l’agence BETC. Malgré les courts métrages bricolés lors de son adolescence, alors que la réalisation n’était pas encore un objectif affirmé, le jeune homme aux velléités artistiques hésitant entre le cinéma, la musique et l’écriture.

Le déclic est venu quand il a rouvert un vieux manuel de philo, qu’il concède avoir très peu lu au lycée : « Je suis tombé sur un chapitre sur le dilettantisme et je me suis reconnu. Il fallait que je choisisse. Je me suis plongé dans des livres sur le cinéma et je me suis rendu au Forum des images entre midi et deux. »

La suite après cette publicité

Un cinéma poético-réaliste

La reconversion passera d’abord par la série Le Bidule, créée avec des collègues et des copains du collège puis diffusée sur Canal+ en 1999 et 2000. Son drôle de concept ? Des épisodes de trois minutes en forme de roman-photo traitant de sujets de société sur un ton décalé. « On n’était pas spécialement fiers de bosser dans la pub et Le Bidule nous a permis de sortir du milieu tout en rachetant nos âmes d’une certaine façon. » Et de poser les jalons de son cinéma poético-réaliste. Le réalisateur travaille actuellement sur un nouveau scénario, La Vallée de l’étrange, centré sur un vieil ingénieur suicidaire et le robot qu’il a conçu. Il compte aussi adapter l’une des bandes dessinées autobiographiques de l’Américain Joe Matt avant de potentiellement réaliser un triptyque documentaire sur la French touch. Beau programme. 

D’Olivier Babinet, avec Justine Lacroix, Benoît Poelvoorde. 1 h 27. Sortie mercredi.

Lucie, 15 ans, s’occupe de son père aimant et complice mais de plus en plus diminué par la sclérose en plaques. L’annonce de la venue d’un assistant social bouleverse leur quotidien. Olivier Babinet signe son film de fiction le plus grand public sans se trahir avec cette adaptation d’une pièce de théâtre (Le Monstre du couloir, de David Greig) qui tient à la fois du teen movie et de la chronique sociale. Tout en en gardant les codes, il échappe à la « normalité » par son inventivité, son onirisme, ses audaces formelles poétisant un réel parfois cruel sans pour autant le dépouiller de son âpreté. Une fable inégale mais généreuse et romantique, drôlement touchante surtout, qu’accompagnent de formidables comédiens

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Michel Blanc.

Culture

Splendid acteur du cinéma populaire, Michel Blanc s’en est allé

CHRONIQUE. ​​​​​​​L’acteur Michel Blanc est décédé ans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 octobre 2024, à l’âge de 72 ans. Avec son décès, ce ne sont pas seulement des films que l’on pleure, mais une certaine idée du rire, de l’audace et de l’humanité, réagit l’essayiste et chroniqueur Paul Melun.