« Tradwives » : le retour de l’épouse traditionnelle


Élisabeth Caillemer

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TENDANCE. Elles vantent le modèle de la femme au foyer sur les réseaux sociaux. Analyse d’un phénomène de société.

Hannah Neeleman, huit enfants et 6,5 millions d'abonnée sur Instagram et TikTok.

Hannah Neeleman, huit enfants et 6,5 millions d'abonnée sur Instagram et TikTok. © DR

Tirées à quatre épingles, brushing impeccable ou vêtues d’une simple robe à fleurs à la Caroline Ingalls, elles filment sur les réseaux sociaux leur bonheur d’être mères au foyer. Née dans les pays anglo-saxons à la fin des années 2010, la tendance tradwives, pour traditional wives (« épouses traditionnelles ») a débarqué en France, au grand dam des féministes. Dans son rapport annuel sur le sexisme publié le 22 janvier dernier, le Haut Conseil à l’égalité a, pour sa part, jugé le phénomène « particulièrement inquiétant », déplorant « une réassignation des femmes à la sphère strictement domestique, qui va à contre-courant des enjeux des luttes féministes et des politiques publiques pour l’émancipation des femmes, notamment depuis les années 1950 ».

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Il faut dire que, depuis leur cuisine, certaines tradwives n’y vont pas avec le dos de leur cuiller en bois. Sur son compte TikTok aux 150 000 abonnés, l’Américaine Estee Williams, 26 ans, vante sans complexe une stricte répartition genrée des rôles au sein du couple. Pourvoyeur de la famille, le mari « ne s’occupe pas des tâches ménagères ». La femme, de son côté, « doit préparer la maison pour son retour » et prendre soin de son apparence « pour lui donner hâte de la revoir après une longue journée de travail », conseille cette blonde pulpeuse au look années 1950, dont certaines vidéos dépassent le million de vues. « Je ne vais pas à la salle de sport sans mon mari » et « je fais passer ses désirs avant les miens », insiste-t-elle.

Dans une version moins radicale, Alena Kate Pettitt explique sur son blog « The Darling Academy » : « Toutes les femmes ne souhaitent pas travailler en dehors de la maison et devenir des girlboss. J’ai choisi de passer mes journées à m’occuper de ma famille, à gâter mon mari et à le soutenir dans son travail, à nettoyer les sols, à préparer des gâteaux, à trier le linge et à écrire. » Entre une recette de scones et de quiche aux épinards, cette Britannique prend la plume pour justifier son choix tout en déplorant un féminisme plus prompt à « dévaloriser les hommes » qu’à « défendre le droit pour chaque femme de choisir librement son mode de vie ».

Melissa prône la tradition du « Coquette en salopette »

La tendance tradwife est à l’évidence une riposte à un féminisme tyrannique qui stigmatise toute femme osant s’écarter de son dogme. Une réaction sans doute aussi à la confusion des genres, la guerre des sexes, et à cette façon qu’ont certaines de présenter la vie de famille comme une somme de corvées ingrates à se partager équitablement au sein du couple. Ses détracteurs y voient un mouvement réactionnaire flirtant avec les milieux d’extrême droite et suprémacistes blancs qui, il est vrai, y trouvent leur compte. Une analyse étayée par certaines tradwives dont les postures caricaturales ne font qu’alimenter le mal qu’elles prétendent combattre, quand elles ne nuisent pas aux discours plus tempérés d’autres femmes au foyer qui prospèrent sur les réseaux sociaux.

Car il ne faudrait pas réduire le phénomène tradwife à une réaction épidermique. Cette revendication d’un modèle familial plus traditionnel semble répondre, chez de nombreuses femmes, à un besoin de renouer avec une vie plus simple et plus connectée au réel. Melissa est l’une d’elles. Sur son compte Instagram « Coquette en salopette », cette ancienne infirmière mariée à un enseignant dévoile son quotidien de mère au foyer. Cueillette de noix, confection de conserves, enfants gambadant dans le jardin…

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« Mon mari et moi formons une équipe : chacun prend soin de l’autre à sa façon. N’avoir qu’un seul salaire demande des sacrifices mais je suis convaincue d’être à ma place et je ne juge pas les femmes qui travaillent. À travers les commentaires de mes vidéos je sens une demande grandissante de contenus positifs sur la maternité et la vie de famille, à rebours de ce que la société présente comme une prison moderne. Si je peux aider certaines femmes à assumer leur choix de rester à la maison, tant mieux ! », confie-t-elle au JDD.

« L’éducation des enfants est une des tâches les plus nobles et les plus nécessaires à l’humanité »

Dans Adieu mademoiselle, la journaliste Eugénie Bastié rapportait ces propos de Sylviane Agacinski : « L’éducation des enfants est une des tâches les plus nobles et les plus nécessaires à l’humanité. Le souci des enfants a contribué à attacher les femmes à leur foyer. Est-il aussi artificiel et imposé qu’on veut bien le dire ? Il appartiendra aux femmes de répondre librement le jour où elles n’auront plus honte de revendiquer leur désir en ce domaine. » Ce jour est semble-t-il arrivé. La tendance tradwife, retour en arrière ou bond en avant ?

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